Parce qu’elle structure, de manière nette ou plus sauvage, les volumes que trace le jardinier et parce que son accord avec le végétal est naturel au sens premier du terme, la pierre est un élément irremplaçable du jardin. Tour d’horizon des pierres naturelles belges au coeur du jardin.
La pierre sait se faire désirer. Habituellement dissimulée sous un humus moelleux, il faut aller la chercher en carrière ou bien observer nos paysages pour se rendre compte de son extrême diversité. La Belgique est un territoire où se rencontrent, en sous-sol, de nombreuses «variétés» de pierre naturelle, utilisées en architecture depuis les temps anciens. “L’histoire géologique du pays en fait un territoire d’abord baigné ou submergé régulièrement par des eaux souvent chaudes de l’ère primaire, dont les sédiments furent ensuite chahutés par les mouvements de la croute terrestre”, explique Nicole Carpentier, géologue et chargée de mission de l’asbl PIerres et Marbres de Wallonie. “Cette histoire a été à l’origine des roches calcaires et des marbres qui ont fait la richesse du pays depuis fort longtemps – et notamment avec éclat au XVIIe siècle – et de roches siliceuses très variées.” On dénombre aujourd’hui en effet pas moins de 17 variétés de roches utilisables pour l’architecture et l’architecture de jardin, sans parler de pierres dont les gisements se sont épuisés au fil du temps.
Dans des gammes de gris-bleu clair à très foncé – pierre bleue, calcaires de Meuse dont le très pur calcaire de Vinalmont – les calcaires ont été largement employés : ils se taillent selon des finitions multiples, de la plus traditionnelle aux plus modernes. Les exploitants de carrière ont su grâce à ce matériau presque parfait mettre au point des produits très adaptés aux besoins contemporains.
C’est sans doute la «croûte» de pierre bleue qui reste la préférée des paysagistes pour son caractère si naturel, presque brut. C’est à Jean Delogne, architecte de jardin bruxellois, que revient l’idée de l’utilisation de cette partie extérieure du gisement en contact avec d’autres substrats : «Personne ne voulait de cette pierre à la surface grumeleuse, impossible à tailler», se souvient-il. « Je lui ai trouvé une texture parfaite pour l’extérieur et je l’emploie encore sous forme d’énormes dalles ou de blocs. Les végétaux s’y accordent immédiatement.»
Côté roches siliceuses, le choix est encore plus important, des grès qui font de si beaux murs en pierres sèches aux schistes aux diverses nuances de brun, bleu, violet. Sans oublier des roches très dures mais tout aussi intéressantes comme le quartzite, beige clair, l’arkose aux tons pastel (rose, gris) à brun. Les grès schisteux, typiques de l’Ardenne, profitent de la texture compacte des grès mais néanmoins légèrement feuilletée que l’on retrouve dans les schistes.
Dans un jardin, la pierre n’a pas le premier rôle mais sans elle rien ne serait pareil. “Elément d’une composition, elle n’est jamais là pour elle-même mais pour entretenir des liens forts avec le végétal, l’eau, l’air. Elle n’est pas choisie au hasard, ni posée sans réflexion. Avec elle naît un ensemble complexe qu’on appelle paysage.” rappelait Jean Delogne dans une publication récente de l’association. Et de fait, nombre de paysagistes parcourent les carrières à la recherche du matériau qui conviendra parfaitement au projet qu’ils conçoivent. Parce que dans un gisement, au fil de son exploitation, les couleurs peuvent varier, les textures se modifier légèrement.
Du fait de ce rôle de “faire-valoir”, on ne multipliera pas plusieurs variétés de pierre dans un même jardin. La pierre bleue se rajoute parfois à d’autres pierres qui se taillent moins bien, pour réaliser une terrasse ou un couvre-mur.
Beaucoup de paysagistes ont leurs préférences, qui s’assimilent souvent à une question de terroir : la pierre a tant imprégné les architectures situées à une distance raisonnable des carrières, que l’on poursuit – à raison – des symbioses qui marquent les paysages : les paysages de murs en pierre de la région de Vielsalm ne ressemblent guère à leurs cousins de la région d’Herbeumont et pourtant il s’agit toujours de schiste. Restent des coups de coeur pour un projet.
Serge Delsemme oublie rarement la pierre dans ses projets : petits pavés carrés contrastant avec des massifs de boules de buis, bordures fines pour un dessin très structuré rappelant les jardins Art Déco, tablettes supportant des pots, poème gravé sur une dalle, murets, paillettes au pied de vignes, allée asymétrique…. Au pied de sa maison, dessinée par Bruno Albert, aux lignes strictes, la pierre s’installe pour structurer l’espace de la colline qui l’entoure. Un mur de moellons de grès s’enroule autour du bâtiment ; un escalier s’enroule autour d’un arbre ; une fontaine et son grand évier sert de rafraichissoir pour des fleurs coupées (conception Florence Fréson) ; le grès et la pierre bleue se répondent judicieusement et mettent en valeur roses, buis taillés, rhododendrons et camélias. Des oeuvres d’artistes se sont immiscées au fil des années dans ce jardin. Paolo Gasparotto y a construit un mur à sa manière : une habile imbrication de pierres de tous formats, sorte de paysage dans le paysage.
Discrète mais parfois surprenante, la pierre accompagne et souligne le modelage de l’espace souhaité par le paysagiste. Qu’elle soit simple revêtement – pratique et vieillissant en beauté -, élément de construction ou de décoration, elle s’efface pour mieux faire vibrer le végétal. Mouillée elle se découvre sous un autre jour. “Avec la pierre, l’ombre n’est pas terne mais vivante” aime à souligner pour sa part le paysagiste Benoit Fondu. Un bel hommage !