La pierre complice

Texte : Dominique Guerrier Dubarle
Photos : Cristina Marchi & Dominique Guerrier Dubarle pour Pierres et Marbres de Wallonie, Serge Delsemme, Jeremy Dubucq
In : Jardins d’Eden / De Tuinen van Eden / Hiver 2013-2014

Because it structure, precisely or more wildly, the volumes the gardener design itself, because his agreement with plants is so natural, stone is an irreplaceable part of the garden. In many magical places, Belgian natural stone in the heart of the garden.

Parce qu’elle structure, de manière nette ou plus sauvage, les volumes que trace le jardinier et parce que son accord avec le végétal est naturel au sens premier du terme, la pierre est un élément irremplaçable du jardin. Tour d’horizon des pierres naturelles belges au coeur du jardin.

La pierre sait se faire désirer. Habituellement dissimulée  sous un humus moelleux, il faut aller la chercher en carrière ou bien observer nos paysages pour se rendre compte de son extrême diversité. La Belgique est un territoire où se rencontrent, en sous-sol, de nombreuses «variétés» de pierre naturelle, utilisées en architecture depuis les temps anciens. “L’histoire géologique du pays en fait un territoire d’abord baigné ou submergé régulièrement par des eaux souvent chaudes de l’ère primaire, dont les sédiments furent ensuite chahutés par les mouvements de la croute terrestre”, explique Nicole Carpentier, géologue et chargée de mission de l’asbl PIerres et Marbres de Wallonie. “Cette histoire a été à l’origine des roches calcaires et des marbres qui ont fait la richesse du pays depuis fort longtemps – et notamment avec éclat au XVIIe siècle – et de roches siliceuses très variées.” On dénombre aujourd’hui en effet pas moins de 17 variétés de roches utilisables pour l’architecture et l’architecture de jardin, sans parler de pierres dont les gisements se sont épuisés au fil du temps.

À gauche, des grès "schisteux" sont extraits dans l‘est de la Belgique et près de la vallée de la Semois. Le lit de la pierre peut présenter des chatoyances agréables en revêtement d’allée. La tranche de la pierre est par contre d’un gris mat intéressant à utiliser en escalier ou pour un plateau de table. Conception : Grondal et associés. À droite le grès du Condroz, une région verdoyante au nord de l’Ardenne. Conception : Serge Delsemme.
À gauche, des grès “schisteux” sont extraits dans l‘est de la Belgique et près de la vallée de la Semois. Le lit de la pierre peut présenter des chatoyances agréables en revêtement d’allée. La tranche de la pierre est par contre d’un gris mat intéressant à utiliser en escalier ou pour un plateau de table.
Conception : Grondal et associés.
À droite le grès du Condroz, une région verdoyante au nord de l’Ardenne.
Conception : Serge Delsemme.

Dans des gammes de gris-bleu clair à très foncé – pierre bleue, calcaires de Meuse dont le très pur calcaire de Vinalmont – les calcaires ont été largement employés  : ils se taillent selon des finitions multiples, de la plus traditionnelle aux plus modernes. Les exploitants de carrière ont su grâce à ce matériau presque parfait mettre au point des produits très adaptés aux besoins contemporains.

C’est sans doute la «croûte» de pierre bleue qui reste la préférée des paysagistes pour son caractère si naturel, presque brut. C’est à Jean Delogne, architecte de jardin bruxellois, que revient l’idée de l’utilisation de cette partie extérieure du gisement en contact avec d’autres substrats : «Personne ne voulait de cette pierre à la surface grumeleuse, impossible à tailler», se souvient-il. « Je lui ai trouvé une texture parfaite pour l’extérieur et je l’emploie encore sous forme d’énormes dalles ou de blocs. Les végétaux s’y accordent immédiatement.»

Côté roches siliceuses, le choix est encore plus important, des grès qui font de si beaux murs en pierres sèches aux schistes aux diverses nuances de brun, bleu, violet. Sans oublier des roches très dures mais tout aussi intéressantes comme le quartzite, beige clair, l’arkose aux tons pastel (rose, gris) à brun. Les grès schisteux, typiques de l’Ardenne, profitent de la texture compacte des grès mais néanmoins légèrement feuilletée que l’on retrouve dans les schistes.

Jean Delogne s’inspire des contrastes de textures pour allier une même pierre - ici la pierre bleue - dans des aspects très dissemblables : l’un très brut, l’autre taillé. À gauche, terrasse sous un mail de tilleuls : les tranches de blocs directement extraits de la carrière sont laissées telles ou retaillées suivant que l’on se trouve à l’emplacement de la table ou plus en périphérie. Les irrégularités des blocs permettent de planter certains arbres. À droite, un pont très naturel en "croûte" de pierre bleue associé à l’élégance d’un garde-corps très simple en fer forgé.
Jean Delogne s’inspire des contrastes de textures pour allier une même pierre – ici la pierre bleue – dans des aspects très dissemblables : l’un très brut, l’autre taillé.
À gauche, terrasse sous un mail de tilleuls : les tranches de blocs directement extraits de la carrière sont laissées telles ou retaillées suivant que l’on se trouve à l’emplacement de la table ou plus en périphérie. Les irrégularités des blocs permettent de planter certains arbres.
À droite, un pont très naturel en “croûte” de pierre bleue associé à l’élégance d’un garde-corps très simple en fer forgé.

Dans un jardin, la pierre n’a pas le premier rôle mais sans elle rien ne serait pareil. “Elément d’une composition, elle n’est jamais là pour elle-même mais pour entretenir des liens forts avec le végétal, l’eau, l’air. Elle n’est pas choisie au hasard, ni posée sans réflexion. Avec elle naît un ensemble complexe qu’on appelle paysage.” rappelait Jean Delogne dans une publication récente de l’association. Et de fait, nombre de paysagistes parcourent les carrières à la recherche du matériau qui conviendra parfaitement au projet qu’ils conçoivent. Parce que dans un gisement, au fil de son exploitation, les couleurs peuvent varier, les textures se modifier légèrement.
Du fait de ce rôle de “faire-valoir”, on ne multipliera pas plusieurs variétés de pierre dans un même jardin. La pierre bleue se rajoute parfois à d’autres pierres qui se taillent moins bien, pour réaliser une terrasse ou un couvre-mur.

Beaucoup de paysagistes ont leurs préférences, qui s’assimilent souvent à une question de terroir : la pierre a tant imprégné les architectures situées à une distance raisonnable des carrières, que l’on poursuit – à raison – des symbioses qui marquent les paysages : les paysages de murs en pierre de la région de Vielsalm ne ressemblent guère à leurs cousins de la région d’Herbeumont et pourtant il s’agit toujours de schiste. Restent des coups de coeur pour un projet.

Dans ce jardin ardennais Serge Delsemme réinterprête la tradition du mur en pierre sèche en «crêtes à cayaux» que l’on retrouve encore dans nos terroirs. Les pierres de schiste verticales rappellent, à des niveaux différents, les lignes des haies du jardin : elles accentuent le graphisme du jardin. Plus loin ces murs créent de jolies chambres de verdure.
Dans ce jardin ardennais Serge Delsemme réinterprête la tradition du mur en pierre sèche en «crêtes à cayaux» que l’on retrouve encore dans nos terroirs. Les pierres de schiste verticales rappellent, à des niveaux différents, les lignes des haies du jardin : elles accentuent le graphisme du jardin. Plus loin ces murs créent de jolies chambres de verdure.

Serge Delsemme oublie rarement la pierre dans ses projets : petits pavés carrés contrastant avec des massifs de boules de buis, bordures fines pour un dessin très structuré rappelant les jardins Art Déco, tablettes supportant des pots, poème gravé sur une dalle, murets, paillettes au pied de vignes, allée asymétrique….  Au pied de sa maison, dessinée par Bruno Albert, aux lignes strictes, la pierre s’installe pour structurer l’espace de la colline qui l’entoure. Un mur de moellons de grès s’enroule autour du bâtiment ; un escalier s’enroule autour d’un arbre ;  une fontaine et son grand évier sert de rafraichissoir pour des fleurs coupées (conception Florence Fréson) ; le grès et la pierre bleue se répondent judicieusement et mettent en valeur roses, buis taillés,  rhododendrons et camélias. Des oeuvres d’artistes se sont immiscées au fil des années dans ce jardin. Paolo Gasparotto y a construit un mur à sa manière : une habile imbrication de pierres de tous formats, sorte de paysage dans le paysage.

Artisan et ami de la pierre, Paolo Gasparoto construit d’étonnants murs paysage.
Artisan et ami de la pierre, Paolo Gasparoto construit d’étonnants murs paysage.
À gauche, Florence Fréson a sculpté dans la pierre bleue ce bain d’oiseau qui mêle ici encore rigueur des lignes et détails plus organiques.  Un objet en pierre, même de taille restreinte, bien installé, sera toujours un appel visuel remarqué. À droite, des pavés de calclaires de Meuse clivés, pierre bleue sombre et calcaire de Vinalmont gris clair, composent une rampe très sure même sous la pluie.
À gauche, Florence Fréson a sculpté dans la pierre bleue ce bain d’oiseau qui mêle ici encore rigueur des lignes et détails plus organiques. Un objet en pierre, même de taille restreinte, bien installé, sera toujours un appel visuel remarqué.
À droite, des pavés de calclaires de Meuse clivés, pierre bleue sombre et calcaire de Vinalmont gris clair, composent une rampe très sure même sous la pluie.
À gauche, les marches de l’escalier s'installent dans un rythme irrégulier au milieu de graminées ondoyant sous le vent. Conception : Michel Pauwels. À droite, les grès du Condroz offrent des coloris dans des gammes de bruns, beige, bleu-gris, verts : en alternance avec des chevrons de schiste noir, le tout forme un remarquable chemin de sous-bois. Conception : Serge Delsemme
À gauche, les marches de l’escalier s’installent dans un rythme irrégulier au milieu de graminées ondoyant sous le vent.
Conception : Michel Pauwels.
À droite, les grès du Condroz offrent des coloris dans des gammes de bruns, beige, bleu-gris, verts : en alternance avec des chevrons de schiste noir, le tout forme un remarquable chemin de sous-bois.
Conception : Serge Delsemme.

Discrète mais parfois surprenante, la pierre accompagne et souligne le modelage de l’espace souhaité par le paysagiste. Qu’elle soit simple revêtement – pratique et vieillissant en beauté -, élément de construction ou de décoration, elle s’efface pour mieux faire vibrer le végétal. Mouillée elle se découvre sous un autre jour. “Avec la pierre, l’ombre n’est pas terne mais vivante” aime à souligner pour sa part le paysagiste Benoit Fondu. Un bel hommage !

Un escalier caresse la pelouse d’un petit vallon, longe un étang et à lui seul fait comprendre l’ensemble du paysage. Conception : Paul Deroose.
Un escalier caresse la pelouse d’un petit vallon, longe un étang et à lui seul fait comprendre l’ensemble du paysage.
Conception : Paul Deroose.
Image à la une : Le schiste se délite ou se découpe en grandes dalles. En Lorraine autrefois, les clôtures étaient réalisées en fichant simplement dans le sol à la verticale, des dalles de pierre, plus ou moins élevées. Hughes Fernet reprend ce motif pour des bordures hautes dont les coloris s’ajustent parfaitement aux feuillages.

L’association Pierres et Marbres de Wallonie diffuse une documentation gratuite et téléchargeable portant un regard esthétique et technique sur la pierre dans le jardin. Collection «Les carnets de la pierre».

 

Le magazine de jardins Jardins d’Eden / De Tuinen van Eden paraît trois fois par an et est publié en français et néerlandais.